Par une nuit d'orage
Une soirée comme celle-ci, j’espère que vous n’en connaîtrez jamais…
L’atmosphère entre mon mari et moi était assez tendue depuis quelques semaines. Il rentrait toujours très tard du boulot et n’avait pas de temps à m’accorder. Il était souvent distrait à table et répondait vaguement à mes questions quant au bon déroulement de la journée. Je me sentais triste et délaissée. A chaque fois que j’abordais le sujet, c’était toujours moi qui me créais des problèmes et, selon ses dires, c’était grâce à lui que nous avions le confort dans lequel nous vivions.
Ne supportant plus la situation, j’en avais parlé à ma meilleure amie. Mily m’avait donc suggéré d’en discuter une bonne fois pour toutes avec lui.
Forte de cette discussion, je suis rentrée chez moi. Nous étions vendredi soir et Mike avait une affaire urgente à finir au travail. Il allait donc rentrer dans les alentours de vingt heures.
Je venais juste de finir de préparer le dîner quand j’entendis sa moto s’engager dans l’allée.
-Bonsoir chéri, tu as pu finir ton dossier, lui demandais-je tandis que la porte se refermait sur lui.
-Oui, j’ai pu tout boucler. Ça m’a épuisé, me répondit il en se débarrassant de son épais manteau de cuir, sans m’adresser le moindre regard.
Il mit distraitement la table et alluma la télévision de la cuisine afin de produire un fond sonore. Je le servis et nous échangeâmes des banalités durant le repas. Comme à l’accoutumée, il fut absorbé par la trame du film de ce soir. Je débarrassai donc la table seule. Après avoir nettoyé le plan de travail, je pris mon courage à deux mains. J’éteignis la télévision et me mis devant l’écran face à lui.
-Mike, j’aimerais te parler d’un sujet important.
-Ça ne pouvait pas attendre la fin du film, soupira t il.
-Tes films, tes émissions, tes livres, ton travail, il n’y a donc que ça qui compte pour toi ? Et nous dans tout ça ?
Il soupira et croisa les bras.
-Ah non, tu ne vas pas recommencer. On en parle déjà suffisamment comme ça ! Tu sais pourquoi je dois autant travailler.
-On aborde toujours vaguement la question et tu m’endors à coup de promesses que tu ne tiens même pas. J’ai vraiment envie que ceci soit réglé une bonne fois pour toutes.
Il leva les yeux au ciel et soupira bruyamment avant de me répondre.
-Réfléchis un peu. Tu crois que ça me fait plaisir de travailler si tard ? Tu crois que je ne voudrais pas être à la maison avant que tu rentres pour t’aider à préparer le dîner ? Mais je ne peux pas. J’ai envie de l’avoir cette promotion.
-Ta promotion, ta promotion. Mais ça fait deux ans que tu lui cours après ! Et rappelle-moi qui a pu en bénéficier il y a huit mois ? Ton collègue ! Tu ne vas pas non plus te tuer au travail pour rien et laisser de côté notre vie tout de même ?
-Ne t’en fais pas, le PDG m’a parlé officieusement et cette fois-ci mes efforts vont être récompensés.
-Comme la dernière fois et regarde le résultat, lui fis je remarquer en croisant les bras.
La tension de l’atmosphère était de plus en plus palpable.
-Mais tu vas arrêter de te plaindre ? Pense un peu à moi ! Dans cette histoire, c’est moi qui trime pour que notre futur bébé ne manque de rien !
-Justement parlons-en de notre futur bébé ! Est-ce que tu pourrais te montrer plus présent le soir à mes côtés ou dois-je prends rendez-vous avec ta secrétaire afin de trouver un créneau pour le concevoir ?
Mike se leva d’un bon et me jeta un regard noir en serrant les poings.
-J’en ai marre de cumuler le stress au boulot et de devoir apaiser tes crises d’existentialisme ! Ce bébé on l’aura mais pas pour le moment, c’est clair ?
C’en était trop. Je ne pouvais pas tenir cette discussion une minute de plus. Les larmes me montaient aux yeux. J’avais besoin de prendre l’air. Je mis mon châle et sorti en claquant la porte derrière moi.
Il faisait lourd en cette soirée d’été. L’air était électrique mais je m’en fichais. J’avais besoin de laisser un temps cette vie. Je le faisais toujours quand nous nous disputions trop violemment avec mon mari. Je partais en promenade dans les champs voisins et revenais un peu plus tard. A mon retour nous nous réconciliions toujours.
Je marchais dans le chemin de terre au milieu des champs fraîchement labourés depuis déjà un bon moment. Je me repassais, comme à mon habitude, la discussion qui venait d’avoir lieu. Je tapais du pied toutes les pierres que je trouvais en travers de mon chemin et me bornais à garder mes yeux rivés au sol pour ne pas montrer à d’éventuels promeneurs que je pleurais. Je mis donc du temps à remarquer que le ciel s’assombrissait au fur et à mesure que j’avançais. Je ne m’en aperçus que lorsque j’eus levé le nez, une fois que je fus plus ou moins calmée. Tout d’abord, les champs s’étendaient à perte de vue dans toutes les directions. Je ne pouvais voir au loin les lumières de la ville comme à mon habitude. Je devais être sacrément énervée pour avoir marché si longtemps. D’un coup mes cheveux furent entourés d’électricité statique et se redressèrent sur ma tête. De gros nuages noirs couvraient l’intégralité du ciel, cachant toutes les étoiles. C’est à ce moment-là que je sus qu’un énorme orage se préparait. Sous l’effet de surprise, je m’étais arrêtée de marcher sans m’en rendre compte et fixais bouche bée le ciel. Une déflagration assourdissante, accompagnée d’un éclair aveuglant, retentit non loin de moi. Apeurée, je pris mes jambes à mon cou.
Quand j’atteignis notre maison, Mike sortait les poubelles. J’en profitais pour rentrer à l’intérieur. Je m’assis dans le sofa au salon et l’attendis. La porte d’entrée se referma sur lui. Il vint me rejoindre et s’installa dans son fauteuil. Il alluma la télévision sans m’adresser le moindre regard. Il faisait toujours ça après une de nos disputes : il m’ignorait et ne me répondait pas tant qu’il n’était pas calmé à son tour. Ensuite il se tournait vers moi et s’excusait pour avoir haussé le ton. J’attendis alors, comme à l’accoutumée, le moment où il allait enfin m’adresser la parole.
Cependant, il regarda deux émissions sans pour autant changer d’attitude. J’avais beau me racler la gorge, soupirer bruyamment ou encore chantonner, rien ne se produisait. Commençant à trouver le temps long, je tentai une approche.
-Chéri, tu es encore fâché ?
Je n’obtins aucune réponse de sa part ; pas même un mouvement d’épaule. Je me dis en mon for intérieur que la patience était de rigueur vu les propos que je lui avais tenu un peu plus tôt. A une heure du matin, il se décida à éteindre le poste. Je restais sur le sofa en lui faisant face, un sourire coupable aux lèvres. Il ne me remarqua même pas et se dirigea vers la fenêtre du salon.
-Écoute mon cœur, je suis vraiment désolée pour ce que je t’ai dit tout à l’heure, murmurai-je gênée en m’approchant de lui. Je t’ai blessé, j’en suis consciente maintenant. Oublie tout ce que j’ai pu te dire, je ne le pensais pas.
Il regarda à travers les rideaux quelques instants sans faire attention à moi. La pluie venait de s’interrompre. Il se retourna et je m’écartais pour lui laisser le passage. Il n’avait toujours pas l’air décidé à enterrer la hache de guerre. Je me sentais de plus en plus coupable et de plus en plus mal à l’aise. Il flâna un moment dans le salon puis, après un rapide coup d’œil à sa montre, il commença à monter les escaliers pour aller se coucher.
Il n’était même pas arrivé à la moitié de son ascension que la sonnerie du téléphone retenti. Il se précipita sur le combiné.
-Allo ?
Il y eu un vrombissement de réponse. Une voix d’homme à ce que j’entendis en me rapprochant.
-Oui c’est bien moi, répondit-il avec une voix hésitante, c’est à quel sujet ?
Intrigué je lui demandai du regard qui était-ce mais, d’après sa réaction, il m’ignorait toujours autant. Je poussai un soupir et croisai les bras, résignée. Son visage se décomposa au fur et à mesure que l’homme lui parlait.
-…oudre. Je suis… vré …sieur, réussi-je à entendre en tendant l’oreille.
Il eut juste la force d’articuler un faible « j’arrive tout de suite ». Il lâcha le combiné au bout de son fil, saisit son blouson de cuir et son casque.
-Mais qu’est-ce qui te prend, lui demandais-je en le suivant comme je pus.
Il ouvrit la porte à la volée et sortit en trombe sans prendre la peine de me répondre. Il était déjà sur sa moto quand j’atteignis la dernière marche du perron. J’eus tout juste le temps de sauter à l’arrière et de le prendre par la taille alors qu’il enclenchait la première vitesse. Mon contact le fit sursauter et faire un écart de trajectoire mais il put redresser sans peine son véhicule. Il s’engagea dans le chemin de terre qui coupait les champs à une vitesse folle. Je crus plusieurs fois que nous allions nous retrouver dans un fossé ou faire de l’aquaplaning sur l’une des nombreuses flaques qui parsemaient la route devenue boueuse par endroits.
-Où vas-tu, m'époumonais-je, ralentis ou nous allons avoir un accident !
Il ne m’écoutait toujours pas et appuya sur l’accélérateur de plus belle.
Après quelques minutes de course effrénée, nous vîmes au loin les gyrophares d’une ambulance et de deux voitures de polices. Mike continuait de foncer vers eux. Arrivés à leur hauteur, il arrêta le moteur, mit la béquille et descendit de sa moto d’un même mouvement. Il se débarrassa de son casque qui tomba à terre et courut vers l’attroupement d’ambulanciers.
-Non, cria-t-il comme si on lui déchirait le cœur.
Je descendis à mon tour et le suivis pour comprendre ce qui lui prenait. Il s’était agenouillé près d’une masse que des ambulanciers m’empêchaient de voir. Il pleurait à chaudes larmes se dégageant avec violence de l’étreinte des policiers qui essayaient de le relever doucement.
-Mike, l’interrogeais-je, que se passe-t-il ?
Les forces de l’ordre me barraient le passage. Je ne pouvais pas rejoindre mon mari.
-Venez monsieur, laissez les ambulanciers faire leur travail, lui intima l’un des policiers.
Après quelques tentatives, il fut relevé et assis à l’arrière de l’ambulance. Quand je pus enfin me retrouver face à lui, il avait des larmes qui continuaient de rouler sur ses joues. Il était dans un état proche de la catatonie et gardait les yeux rivés sur un point derrière moi.
-Mike, mon cœur, mais que t’arrive-t-il ? Je ne t’ai jamais vu comme ça.
Il continuait à fixer la même direction et ne me prêtais aucune attention.
-Comment vous sentez vous, monsieur, questionna un ambulancier qui s’était approché de lui pour l’examiner. Vous êtes vraiment pâle.
Mike ouvrit la bouche plusieurs fois sans pouvoir prononcer la moindre syllabe. Puis, après un effort colossal il murmura d’une voix enrouée par les larmes :
-Une soirée comme celle-ci, j’espère que vous n’en connaîtrez jamais…
Je commençais sincèrement à me faire du souci pour lui. Il n’était pas dans son état normal et ceci commençait à me faire peur.
-Mike, chéri, réponds-moi. Tu m’inquiètes. Fais-moi un signe, n’importe quoi.
Il restait toujours les yeux rivés sur la même chose depuis tout à l’heure. Cette situation me mit hors de moi.
-Mais que regardes-tu à la fin ?
Je me retournais irritée et eus tout juste le temps d’apercevoir ce qui se trouvait dans le sac noir que l’on refermait.
C’est à ce moment-là que je compris que j’avais perdu la vie.
L’atmosphère entre mon mari et moi était assez tendue depuis quelques semaines. Il rentrait toujours très tard du boulot et n’avait pas de temps à m’accorder. Il était souvent distrait à table et répondait vaguement à mes questions quant au bon déroulement de la journée. Je me sentais triste et délaissée. A chaque fois que j’abordais le sujet, c’était toujours moi qui me créais des problèmes et, selon ses dires, c’était grâce à lui que nous avions le confort dans lequel nous vivions.
Ne supportant plus la situation, j’en avais parlé à ma meilleure amie. Mily m’avait donc suggéré d’en discuter une bonne fois pour toutes avec lui.
Forte de cette discussion, je suis rentrée chez moi. Nous étions vendredi soir et Mike avait une affaire urgente à finir au travail. Il allait donc rentrer dans les alentours de vingt heures.
Je venais juste de finir de préparer le dîner quand j’entendis sa moto s’engager dans l’allée.
-Bonsoir chéri, tu as pu finir ton dossier, lui demandais-je tandis que la porte se refermait sur lui.
-Oui, j’ai pu tout boucler. Ça m’a épuisé, me répondit il en se débarrassant de son épais manteau de cuir, sans m’adresser le moindre regard.
Il mit distraitement la table et alluma la télévision de la cuisine afin de produire un fond sonore. Je le servis et nous échangeâmes des banalités durant le repas. Comme à l’accoutumée, il fut absorbé par la trame du film de ce soir. Je débarrassai donc la table seule. Après avoir nettoyé le plan de travail, je pris mon courage à deux mains. J’éteignis la télévision et me mis devant l’écran face à lui.
-Mike, j’aimerais te parler d’un sujet important.
-Ça ne pouvait pas attendre la fin du film, soupira t il.
-Tes films, tes émissions, tes livres, ton travail, il n’y a donc que ça qui compte pour toi ? Et nous dans tout ça ?
Il soupira et croisa les bras.
-Ah non, tu ne vas pas recommencer. On en parle déjà suffisamment comme ça ! Tu sais pourquoi je dois autant travailler.
-On aborde toujours vaguement la question et tu m’endors à coup de promesses que tu ne tiens même pas. J’ai vraiment envie que ceci soit réglé une bonne fois pour toutes.
Il leva les yeux au ciel et soupira bruyamment avant de me répondre.
-Réfléchis un peu. Tu crois que ça me fait plaisir de travailler si tard ? Tu crois que je ne voudrais pas être à la maison avant que tu rentres pour t’aider à préparer le dîner ? Mais je ne peux pas. J’ai envie de l’avoir cette promotion.
-Ta promotion, ta promotion. Mais ça fait deux ans que tu lui cours après ! Et rappelle-moi qui a pu en bénéficier il y a huit mois ? Ton collègue ! Tu ne vas pas non plus te tuer au travail pour rien et laisser de côté notre vie tout de même ?
-Ne t’en fais pas, le PDG m’a parlé officieusement et cette fois-ci mes efforts vont être récompensés.
-Comme la dernière fois et regarde le résultat, lui fis je remarquer en croisant les bras.
La tension de l’atmosphère était de plus en plus palpable.
-Mais tu vas arrêter de te plaindre ? Pense un peu à moi ! Dans cette histoire, c’est moi qui trime pour que notre futur bébé ne manque de rien !
-Justement parlons-en de notre futur bébé ! Est-ce que tu pourrais te montrer plus présent le soir à mes côtés ou dois-je prends rendez-vous avec ta secrétaire afin de trouver un créneau pour le concevoir ?
Mike se leva d’un bon et me jeta un regard noir en serrant les poings.
-J’en ai marre de cumuler le stress au boulot et de devoir apaiser tes crises d’existentialisme ! Ce bébé on l’aura mais pas pour le moment, c’est clair ?
C’en était trop. Je ne pouvais pas tenir cette discussion une minute de plus. Les larmes me montaient aux yeux. J’avais besoin de prendre l’air. Je mis mon châle et sorti en claquant la porte derrière moi.
Il faisait lourd en cette soirée d’été. L’air était électrique mais je m’en fichais. J’avais besoin de laisser un temps cette vie. Je le faisais toujours quand nous nous disputions trop violemment avec mon mari. Je partais en promenade dans les champs voisins et revenais un peu plus tard. A mon retour nous nous réconciliions toujours.
Je marchais dans le chemin de terre au milieu des champs fraîchement labourés depuis déjà un bon moment. Je me repassais, comme à mon habitude, la discussion qui venait d’avoir lieu. Je tapais du pied toutes les pierres que je trouvais en travers de mon chemin et me bornais à garder mes yeux rivés au sol pour ne pas montrer à d’éventuels promeneurs que je pleurais. Je mis donc du temps à remarquer que le ciel s’assombrissait au fur et à mesure que j’avançais. Je ne m’en aperçus que lorsque j’eus levé le nez, une fois que je fus plus ou moins calmée. Tout d’abord, les champs s’étendaient à perte de vue dans toutes les directions. Je ne pouvais voir au loin les lumières de la ville comme à mon habitude. Je devais être sacrément énervée pour avoir marché si longtemps. D’un coup mes cheveux furent entourés d’électricité statique et se redressèrent sur ma tête. De gros nuages noirs couvraient l’intégralité du ciel, cachant toutes les étoiles. C’est à ce moment-là que je sus qu’un énorme orage se préparait. Sous l’effet de surprise, je m’étais arrêtée de marcher sans m’en rendre compte et fixais bouche bée le ciel. Une déflagration assourdissante, accompagnée d’un éclair aveuglant, retentit non loin de moi. Apeurée, je pris mes jambes à mon cou.
Quand j’atteignis notre maison, Mike sortait les poubelles. J’en profitais pour rentrer à l’intérieur. Je m’assis dans le sofa au salon et l’attendis. La porte d’entrée se referma sur lui. Il vint me rejoindre et s’installa dans son fauteuil. Il alluma la télévision sans m’adresser le moindre regard. Il faisait toujours ça après une de nos disputes : il m’ignorait et ne me répondait pas tant qu’il n’était pas calmé à son tour. Ensuite il se tournait vers moi et s’excusait pour avoir haussé le ton. J’attendis alors, comme à l’accoutumée, le moment où il allait enfin m’adresser la parole.
Cependant, il regarda deux émissions sans pour autant changer d’attitude. J’avais beau me racler la gorge, soupirer bruyamment ou encore chantonner, rien ne se produisait. Commençant à trouver le temps long, je tentai une approche.
-Chéri, tu es encore fâché ?
Je n’obtins aucune réponse de sa part ; pas même un mouvement d’épaule. Je me dis en mon for intérieur que la patience était de rigueur vu les propos que je lui avais tenu un peu plus tôt. A une heure du matin, il se décida à éteindre le poste. Je restais sur le sofa en lui faisant face, un sourire coupable aux lèvres. Il ne me remarqua même pas et se dirigea vers la fenêtre du salon.
-Écoute mon cœur, je suis vraiment désolée pour ce que je t’ai dit tout à l’heure, murmurai-je gênée en m’approchant de lui. Je t’ai blessé, j’en suis consciente maintenant. Oublie tout ce que j’ai pu te dire, je ne le pensais pas.
Il regarda à travers les rideaux quelques instants sans faire attention à moi. La pluie venait de s’interrompre. Il se retourna et je m’écartais pour lui laisser le passage. Il n’avait toujours pas l’air décidé à enterrer la hache de guerre. Je me sentais de plus en plus coupable et de plus en plus mal à l’aise. Il flâna un moment dans le salon puis, après un rapide coup d’œil à sa montre, il commença à monter les escaliers pour aller se coucher.
Il n’était même pas arrivé à la moitié de son ascension que la sonnerie du téléphone retenti. Il se précipita sur le combiné.
-Allo ?
Il y eu un vrombissement de réponse. Une voix d’homme à ce que j’entendis en me rapprochant.
-Oui c’est bien moi, répondit-il avec une voix hésitante, c’est à quel sujet ?
Intrigué je lui demandai du regard qui était-ce mais, d’après sa réaction, il m’ignorait toujours autant. Je poussai un soupir et croisai les bras, résignée. Son visage se décomposa au fur et à mesure que l’homme lui parlait.
-…oudre. Je suis… vré …sieur, réussi-je à entendre en tendant l’oreille.
Il eut juste la force d’articuler un faible « j’arrive tout de suite ». Il lâcha le combiné au bout de son fil, saisit son blouson de cuir et son casque.
-Mais qu’est-ce qui te prend, lui demandais-je en le suivant comme je pus.
Il ouvrit la porte à la volée et sortit en trombe sans prendre la peine de me répondre. Il était déjà sur sa moto quand j’atteignis la dernière marche du perron. J’eus tout juste le temps de sauter à l’arrière et de le prendre par la taille alors qu’il enclenchait la première vitesse. Mon contact le fit sursauter et faire un écart de trajectoire mais il put redresser sans peine son véhicule. Il s’engagea dans le chemin de terre qui coupait les champs à une vitesse folle. Je crus plusieurs fois que nous allions nous retrouver dans un fossé ou faire de l’aquaplaning sur l’une des nombreuses flaques qui parsemaient la route devenue boueuse par endroits.
-Où vas-tu, m'époumonais-je, ralentis ou nous allons avoir un accident !
Il ne m’écoutait toujours pas et appuya sur l’accélérateur de plus belle.
Après quelques minutes de course effrénée, nous vîmes au loin les gyrophares d’une ambulance et de deux voitures de polices. Mike continuait de foncer vers eux. Arrivés à leur hauteur, il arrêta le moteur, mit la béquille et descendit de sa moto d’un même mouvement. Il se débarrassa de son casque qui tomba à terre et courut vers l’attroupement d’ambulanciers.
-Non, cria-t-il comme si on lui déchirait le cœur.
Je descendis à mon tour et le suivis pour comprendre ce qui lui prenait. Il s’était agenouillé près d’une masse que des ambulanciers m’empêchaient de voir. Il pleurait à chaudes larmes se dégageant avec violence de l’étreinte des policiers qui essayaient de le relever doucement.
-Mike, l’interrogeais-je, que se passe-t-il ?
Les forces de l’ordre me barraient le passage. Je ne pouvais pas rejoindre mon mari.
-Venez monsieur, laissez les ambulanciers faire leur travail, lui intima l’un des policiers.
Après quelques tentatives, il fut relevé et assis à l’arrière de l’ambulance. Quand je pus enfin me retrouver face à lui, il avait des larmes qui continuaient de rouler sur ses joues. Il était dans un état proche de la catatonie et gardait les yeux rivés sur un point derrière moi.
-Mike, mon cœur, mais que t’arrive-t-il ? Je ne t’ai jamais vu comme ça.
Il continuait à fixer la même direction et ne me prêtais aucune attention.
-Comment vous sentez vous, monsieur, questionna un ambulancier qui s’était approché de lui pour l’examiner. Vous êtes vraiment pâle.
Mike ouvrit la bouche plusieurs fois sans pouvoir prononcer la moindre syllabe. Puis, après un effort colossal il murmura d’une voix enrouée par les larmes :
-Une soirée comme celle-ci, j’espère que vous n’en connaîtrez jamais…
Je commençais sincèrement à me faire du souci pour lui. Il n’était pas dans son état normal et ceci commençait à me faire peur.
-Mike, chéri, réponds-moi. Tu m’inquiètes. Fais-moi un signe, n’importe quoi.
Il restait toujours les yeux rivés sur la même chose depuis tout à l’heure. Cette situation me mit hors de moi.
-Mais que regardes-tu à la fin ?
Je me retournais irritée et eus tout juste le temps d’apercevoir ce qui se trouvait dans le sac noir que l’on refermait.
C’est à ce moment-là que je compris que j’avais perdu la vie.